Mots d’elle est un projet collaboratif imaginé avec Alexandra Sebov, qui imagine et écrit de courts textes, dont je m’inspire pour créer ces illustrations.

  • Les Tournesols

    Une nuit d'automne, je me promenais dans les méandres de tous les possibles, là où les rêves sont des réalités. Une douce mélancolie sur mon épaule, je progressais sur le chemin inconnu. Au loin l'horizon ouvert, à perte de vue la terre nue, amicale, rassurante. En bas, les petits cailloux, comme des milliards de potentialités, faisaient chanter mes pas nonchalants. Là-haut le bleu tendre, lumineux, tiède. La quiétude de l'instant suspendu semblait guider mes pieds. Partout la solitude et pourtant tout était là, la joie dans tous les sens, l'allégresse à des kilomètres à la ronde, le bonheur en particules fines. L'émotion, de son souffle porteur m'amena au champ des soleils terrestres. Devant moi se dressaient solennellement d'immenses et vénérables tournesols. Les tiges, épaisses comme des arbres centenaires, semblaient puiser jusqu'au ventre de la terre, des racines infinies, reliées à la richesse écarlate. Ici et maintenant, le cœur de l'univers, vibrant sous mes pieds étonnés. Au sommet de ces phares organiques, alourdies par la générosité de l'ami solaire, les têtes fleuries, démesurées. Comme des coupes d'abondance débordantes, elles chaviraient et se répandaient avec majesté à terre, dans une continuité naturelle. Ces soleils fiers, lancés droit vers le ciel, semblaient se prosterner devant l'invisible. Dans leur chute gracieuse, les pétales, comme des étoiles sans filet, coloraient l'atmosphère d'une magie dorée dont j'étais seul témoin.

  • Un dernier voyage pour la route

    Les gouttes de sueur lui piquaient les yeux qu'il essuya d'un revers de manche. La fumée de cigarette et la chaleur alourdissaient ses poumons. Le siège moite dans son dos détrempé, la colle sur le volant, Bill roulait dans un hammam à ciel ouvert. Ses petits cheveux mouillés s'agitaient sur sa tête en quête de liberté. Devant, la route déserte lui tendait des bras qu'il avait longtemps cherchés au fond des verres, au creux des lits, au bout d'un fil tendu au-dessus du vide. La poussière voilait la silhouette de sa vieille bagnole lancée à l'infini. A la radio, sa musique indienne préférée, en boucle, tapissait l'habitacle d'une atmosphère orientale. Des odeurs d'épices, des souvenirs un peu flous, un brouhaha d'images et de sons bordéliques coloraient la route interminable mais agréable. Dans le sillon de ses rêves évanouis, à la manière d'une soirée diapos, les moments forts défilaient, déjà embrumés, tannés de tant de répétitions. Le grigri chatouilleux tanguait au rétroviseur, étourdi par la fumée. A mesure que les kilomètres s'amoncelaient, la fatigue laissait place au doux délire, dans lequel Bill s'étalait sans hésiter, tout entier. Le long de la route, des paysages oranges, la ligne, distordue par la chaleur et l'alcool, finissaient par tracer des formes qui s'animaient davantage à chaque battement de cils. Bientôt, des éléphants en cortège accompagnaient le vaisseau fantôme. Parés des tissus des grandes cérémonies, les pachydermes progressaient au son de l'orchestre. La musique s'accordait au battement lent et fort du cœur de plus en plus traînant. Alors que rythme et musique devenaient élastiques, la main, le pied, la nuque, les paupières, le corps entier s'enfonçaient dans la ouate confortable du dernier voyage.

  • Courseulles

    Le vent fouettait mes pommettes. Je me tenais là, solidement plantée sur le rivage. Les yeux dans la mer, le cœur sous l'eau, je crispais mes poings froids dans les profondeurs de mes poches. Les clapotis de l'eau berçaient ma tête au rythme du paysage. A mesure que mon regard s'égarait dans les nuances azurées, la mer et le ciel s'estompaient progressivement dans le vide indigo. Sur mon front, des gouttelettes salées rafraichissaient mes yeux fermés. Je glissai dans le bain des sensations subtiles. Au loin, les cris épars des oiseaux marins, comme des taches d'encre jetées au milieu d'une toile vierge, composaient le tableau d'un moment d'intériorité. Une légèreté gagnait bientôt mes épaules, libérait mon bassin, affranchissait mes pieds. La fraîcheur de l'air m'invitait à gonfler mes poumons si fort que je m'envolai. Guidée par des notes bleutées, je glissais au gré du vent. J'étais tour à tour le rugissement de la roche battue, le tambour de la vague au galop, la chaleur du souffle qu'on protège de nos mains endolories. Au loin, des rires d'enfants chahuteurs m'éclaboussaient de joie folle et, d'une volée de moineaux, dissipaient le brouillard.

  • L' Arène

    Les cris de la foule pulsent si fort dans ma tête. Les chocs des pieds lourds sur le sol accompagnent les applaudissements que les trompettes magnifient. Les yeux fermés, le visage grave, je me prépare. Des centaines de fois la même scène, des victoires, toujours. Je suis l’homme qui vit. C'est moi qui sors debout de l'arène, les poings endoloris et les veines palpitantes. Le léger tremblement de ma main droite fait toquer mes ongles contre ma cuirasse. Au dessus de ma tête, une poussière vaporeuse descend en halo, mêlée à la clarté du dehors. Le soleil réchauffe le métal de mon plastron et projette sa lumière dans l'obscurité des murs. Dehors, la liesse assourdissante insuffle sa force en mon cœur, gonfle mes muscles, gagne mes extrémités. Sous mes paupières, le théâtre tragique et grisant des battants anonymes. Engrammés dans ma chair, les coups, la peur en face, le loup en moi et le goût du fer sur ma langue. La terre tremble d'impatience, il est temps. J’avance.

 
 

Ouvrir le cœur

Un canari s'agite sur mon épaule. Il sautille, il bat des ailes, il s'égosille. L'entends-tu toi aussi ? Partout, il m'accompagne. Tout le temps, il me donne le la. Le sens-tu toi aussi ? Quand tout est juste, son chant fait danser mon âme. Quand l'air vient à manquer, de la pointe de son bec, il m'avertit dans ma chair. Comment est ton souffle ? Avance dans ta lumière et l'oiseau volera de toute sa liberté. Piétine en ta nuit, sa présence sommeillera tout contre toi. Quand parfois j'ai les yeux brouillés, lui sait où me mener. Où vas-tu ? Prends garde à ton bonheur ! Nourris le et l'oiseau deviendra soleil. Ecoute le pépiement en dedans, c'est l'étincelle en toi qui rêve d'un grand feu.

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